Les voyages de Mgr Pasquier (1844-1927)
ancien Recteur UCO

Mgr Henri Pasquier compte à plusieurs titres parmi les figures marquantes de l'Université catholique de l'Ouest. Proche de Mgr Freppel et très introduit dans l'élite angevine, il fut directeur de l'École Saint-Aubin, doyen de la jeune Faculté des Lettres puis recteur de l'UCO pendant 27 ans ; il fut également un passionné d'art et un insatiable voyageur. L'étude de ses périples nous conduit à esquisser sa biographie¹.

Né à Chanzeaux dans les Mauges (Maine-et-Loire) le 18 août 1844, Henri Pasquier fait ses études au petit séminaire à Beaupréau puis au grand séminaire à Angers.

En 1868, l'évêque d'Angers Mgr Angebault l'envoie à Paris à l'École des Carmes dirigée par l'abbé Maricourt pour préparer une licence ès lettres. La même année, il entend pour la 1ère fois Mgr Freppel, alors doyen du Chapitre de Sainte-Geneviève, prêcher avec éloquence au Panthéon. Il l'a également vu quelques fois aux Carmes rendre visite à son ami Maricourt. Titulaire de sa licence ès-lettres, il retourne à Angers pendant la Commune en 1871.

Mgr Freppel nommé évêque de ce diocèse en 1870 lui confie de suite la direction de l'École Saint-Aubin qu'il vient de fonder sur une idée de son prédécesseur, Mgr Angebault. Henri Pasquier n'a pas encore 25 ans. Destinée à former des professeurs de l'enseignement libre, cette école dite des Hautes Études accueille d'abord six abbés dont le poète Léon Bellanger dans une petite maison près du collège Mongazon. Après deux déménagements successifs, l'école se fixe sur le rocher du Bout du Monde dans la magnifique maison du peintre Guillaume Bodinier acquise à cette fin par la Vicomtesse de Cars en 1875. Cette institution qui a fait ses preuves pendant quatre ans se présente dès lors comme la future faculté des Lettres de l'Université.

Dans une aile de cette propriété où il aimera tant résider, Henri Pasquier crée une bibliothèque et rassemble progressivement de nombreuses œuvres d'art (manuscrits ,tableaux, et sculptures) souvent données par des amis ou des bienfaiteurs. Passionné par le XVIIe siècle, il achète également des statues réalisées par des artistes renommés d'Anjou et du Maine (Pierre Biardeau, Charles Hoyau, les Delabarre) ; ainsi en 1900 La Vierge s'apprêtant à allaiter l'Enfant en terre cuite ainsi que La Vierge dite de Nozé, véritable chef d'œuvre créé pour le couvent de la Visitation à Angers. Certaines de ces œuvres insignes, classées au titre des Monuments historiques en 2000, sont désormais exposées dans la Collégiale Saint-Martin ².

Mgr Pasquier dans son cabinet de travail

Sous l'impulsion de Mgr Freppel, l'Université catholique d'Angers naît en 1875 et Henri Pasquier participe activement à cette aventure.

L'ouverture de la faculté des Lettres est solennellement proclamée à l'évêché en décembre 1876. Les robes de couleur jaune s'ajoutent désormais à celles amarante du droit. Les jeunes docteurs ès-lettres, Bellanger, Pasquier, Lezat, Loir-Mongazon, entourent leur 1er doyen Mgr Maricourt. Avant la construction du palais, les cours se déroulent boulevard de Saumur. Pasquier enseigne la littérature française et la littérature grecque « aux jardins Leroy » et simultanément assure le suivi des étudiants au « Bout du Monde ».

Face au manque de docteurs en Lettres, Freppel pousse les licenciés à préparer une thèse. Dès 1878, Pasquier obtient à Lyon son doctorat sur un poème latin composé au XIe siècle par Baudry, abbé de Bourgueil puis archevêque de Dol. Il deviendra doyen de la faculté des Lettres aprés la nomination de Mgr Maricourt comme recteur en 1883.

Henri Pasquier se passionne aussi pour la lecture « du grand livre du monde » selon Descartes. Seul ou accompagné, il voyage ³pendant ses vacances de professeur, étudie, prend des notes. Ainsi parcourt-il la France, les capitales d'Europe. En 1877, à Pâques, il visite Florence puis Rome. Devant l'abondance des chefs d'œuvres exposés à la galerie Pitti, son compagnon de voyage et lui se sentent comme « deux enfants gourmands dans un magasin de bonbons, tous plus attrayants les uns que les autres ». Ils se concentrent sur les toiles de Raphaël et en particulier sur la Vierge à la Chaise,« perle de cette galerie ». Son goût se forme à contempler l'expression « de l'idéal et du monde éthéré » dans la peinture italienne aussi bien que « la vulgaire réalité des détails domestiques » dans la peinture flamande. Vers 1882, il réalise son premier voyage en Égypte et pèlerinage en Terre Sainte avec Jules Delahaye, l'un de ses élèves. Durant l'été 1887, Henri Pasquier met le cap sur l'Europe de l'Est et traverse l'Allemagne, le Danemark, la Suède et la Russie.

En 1894, Mgr Pasquier est appelé par les évêques protecteurs à succéder à Mgr Maricourt, décédé. Troisième recteur, il atteint le record de longévité avec vingt-sept années à la tête de l'UCO jusqu'à sa démission en 1921. Il est le premier à être originaire du diocèse d'Angers. Son homonyme Mgr Joseph Pasquier, 6ème recteur (1945 – 1954), viendra d'ailleurs comme lui des Mauges.

Plusieurs orientations et décisions ont marqué le rectorat d'Henri Pasquier qui continue quelque temps à diriger la faculté des Lettres. Il a su obtenir du Saint-Siège le rattachement ⁴des évêchés de Bretagne à l'université angevine plutôt qu'à l'Institut catholique de Paris, réalisant ainsi un des vœux les plus chers de Mgr Freppel. Au-delà de la simple préparation d'un diplôme, son objectif est de former une élite chrétienne. Sa spécialité le conduit tout naturellement à accorder une importance particulière aux lettres et aux arts dans la formation des étudiants. Selon lui, la transmission d'un savoir rigoureux contribue plus largement à protéger le catholicisme face aux doctrines diffusées dans les universités d'État et à l'anticléricalisme montant en France. D'autre part, il soutient fermement le développement de la théologie et des sciences dans l'ouest de la France.

Dans la même optique et pour favoriser les ressources et le rayonnement de son université, Mgr Pasquier décide de donner un nouvel essor aux conférences publiques déjà programmées avant 1894, chaque semaine à Angers et épisodiquement dans les autres villes de l'Ouest. Fondées officiellement en 1902 par le recteur et confiées à un comité ad hoc, les « Conférences littéraires de l'ouest » visent à développer une culture saine dans l'Ouest en affirmant la vitalité de l'Enseignement supérieur libre en matière de savoir profane. Homme de lettres, il a lui-même la plume facile et rédige des textes, aussi bien des homélies et des discours que des éloges funèbres, ceux de ses prédécesseurs, les recteurs Sauvé et Maricourt, et ceux de grandes dames, Sœur Marie-Euphrasie Pelletier et la Vicomtesse des Cars. Il publie également deux ouvrages sur ses voyages.

Journal de bord de Mgr Pasquier

Outre ces nombreuses activités, Mgr Pasquier poursuit en effet l'exploration du monde, ajoutant à sa curiosité intellectuelle et à ses pèlerinages une nouvelle mission charitable confiée par des religieuses. Il s'engage ainsi à visiter les couvents du Bon-Pasteur qui ont essaimé dans le monde à partir de la communauté fondée à Angers en 1829 par Sœur Marie-Euphrasie Pelletier.

À la fin du mois de juin 1895, Mgr Pasquier embarque à Southampton pour atteindre le Canada et les États-Unis. Pendant cinq semaines, son itinéraire le conduit à New-York, Philadelphie et jusqu'à Denver (Colorado) en passant par Montréal et Pittsburg (Pennsylvanie).

En novembre 1900, il parvient même à se libérer pendant six mois pour effectuer un tour du monde dont il publiera le récit dans un ouvrage ⁵ paru en 1906. Parti de Marseille sur le bateau l'Indus, il traverse la Méditerranée, emprunte le canal de Suez, atteint les Indes à Bombay, rejoint par voie de terre Madras, passe une dizaine de jours à Ceylan. Après 21 jours de traversée, il débarque en Australie, fait escale à Perth, à Adélaïde, à Melbourne principal but de son voyage, puis à Sydney. Il embarque à nouveau pour rejoindre la Nouvelle-Zélande à Wellington. À Auckland, il repart vers le nord-est du Pacifique, découvre les îles Samoa, Honolulu (Hawaï), puis amorce le retour de son voyage. Débarqué à San Francisco, il met quatre jours pour traverser les États-Unis confortablement installé dans un Pullmann-car. Il retrouve New-York et emprunte La Lorraine pour traverser l'Atlantique en direction du Havre. À la fin d'avril 1901, il arrive à Paris reliant « les deux bouts de ce ruban immense » de son voyage. Durant ce périple, il visite un certain nombre de couvents du Bon-Pasteur et autres fondations religieuses et élargit notablement son réseau de relations. Les illustrations gravées par Édouard Gaillot d'après les propres documents de Mgr Pasquier ornent sa publication et nous donnent un aperçu des sites et des usages qui ont provoqué l'étonnement et l'admiration du prélat voyageur : temples en Inde, chemin de fer dans l'Himalaya, charmeur de serpents à Bombay, régates en Australie, chef maori, etc.

En 1914, Mgr Pasquier entreprend un second voyage en Égypte, en Palestine et en Syrie. S'il souhaite poursuivre la visite des couvents du Bon-Pasteur, accomplir un nouveau pèlerinage en Terre Sainte reste son objectif principal. « […] Ces lieux bénis parlent au cœur et avivent la piété. On se met, comme les disciples, à la suite de Jésus, et l'on parcourt avec une dévotion sans cesse renouvelée les chemins de Judée et de Galilée. […] ». Dès 1915, il publie ses Impressions de Voyage⁶.

Nous pouvons nous faire une idée des déplacements de Mgr Henri Pasquier grâce aux notes et aux lettres écrites au jour le jour, dans les hôtels ou sur le pont des bateaux. Il y décrit les lieux parcourus, raconte des anecdotes, livre ses impressions ; il répond aussi à la curiosité de ses amis, pour la plupart ses collègues angevins. Et selon un procédé assez répandu chez les voyageurs, il demande à ses correspondants de conserver ses envois à partir desquels il a publié deux ouvrages qui relatent ses voyages, façon pour lui de partager une passion avec ses amis et d'honorer publiquement l'œuvre des religieuses du Bon Pasteur.

À ses retours, il est en effet assailli de questions sur ce qu'il a vu, sur ce qui l'a le plus intéressé et il tente d'exprimer ses principaux étonnements après avoir « parcouru les 10.000 lieues de la ceinture du monde » : la terre « surface sans fin » ou petite, « ballon immense, suspendu dans l'air », l'immensité des eaux, la France rapetissée et aussi l'actualité de la question de Montesquieu : « Comment peut-on naître Persan ? ».

Tout l'étonne : les costumes et les modes, les arts, les temples qui peu à peu « intéressent et captivent », les beaux pays d'Orient, le grand nid de verdure à Pago-Pago mais aussi le tatouage du Maori qui « décidément fait fausse route en beaux-arts et en élégance », tant de noirs qui sont ses frères. Catholique et prêtre, c'est en France d'où partent surtout les légions de missionnaires, hommes et femmes, que Mgr Pasquier préfère demeurer, dans ce pays, « grand propagateur de la foi ».

Claire Giraud-Labalte